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Consignes, placement, hors-jeu: comment le VAR a aussi changé la tactique

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Au cœur de toutes les conversations depuis son introduction (voire avant), le VAR n’aura pas uniquement participé à l’élaboration de débats enflammés entre pro et anti vidéo. L’assistance vidéo à l’arbitrage aura impulsé une petite révolution tactique avec laquelle les entraîneurs doivent désormais composer. Pas forcément pour le meilleur. Explications.

Parmi les critiques les plus fréquemment faites au VAR, citons notamment l’annihilation de l’émotion spontanée du buteur qui attend désormais fébrilement de savoir si son bijou en pleine lucarne est bien validé. Ou l’espoir précaire de l’attaquant qui, s’estimant fauché dans la surface, espère obtenir un penalty dans un match crucial. Prenons aussi l’exemple récent de l’annulation du bijou de Gareth Bale contre le PSG pour une main au moment de contrôler le ballon, le penalty litigieux obtenu par Naples face à Liverpool dans cette même première journée de Ligue des champions ou ce but refusé à Rennes à Brest et qui a valu une bonne colère à Julien Stéphan. Autant d’exemples qui apportent de l’eau au moulin des détracteurs de l’assistance-vidéo, qui voient dans l’utilisation de cet outil technologique un non-sens footballistique.

Mais parle-t-on encore de jeu? Car s’il est un domaine que le VAR participe à modifier, c’est bien la tactique. "Le VAR est en train de changer les règles du football, confiait ainsi notre consultant Kevin Diaz à RMC Sport ces derniers jours. Parce qu'il y a quelques temps, sur les hors-jeux, on disait qu'il fallait faire en sorte que le doute profite à l'attaque. Aujourd'hui, ce n'est plus du tout ça. L'outil a complètement changé la façon qu'ont les arbitres d'aborder le hors-jeu. Un joueur part et est jugé hors-jeu parce qu'il fait du 45... mais ne l'aurait peut-être pas été s'il avait fait du 39? Mais c'est n'importe quoi! C'est tout le contraire de l'esprit du jeu. Cela anéantit l'esprit foot: il n'y a plus la place pour les sentiments, ni pour le vice ou la malice."

Moins de malice, plus de défense propre

La malice d’un défenseur qui gratouille subtilement le maillot d’un attaquant adverse dans la surface par exemple, ou d’un buteur qui part au quart de tour à la réception d’une passe qui fait sauter magnifiquement deux lignes de joueurs adverses. Les Kevin De Bruyne ou Sergio Busquets n’auront qu’à retenir un poil leur caviar pour s’assurer que leur attaquant ne flirte pas trop avec la ligne de hors-jeu. Mais les attaquants sont sans doute bien moins impactés que les défenseurs, dont le métier se trouve presque révolutionné.

"Cela influence au niveau des fautes dans la surface, qui peuvent être plus facilement répréhensibles", estime Claude Puel pour RMC Sport. "Cela va favoriser les équipes qui défendent proprement, les joueurs comme Varane, qui restent quasiment tout le temps debout. Des joueurs forts dans le placement, l'anticipation... Laurent Blanc aurait été à l'aise, Cannavaro moins, même si cela ne l'aurait pas empêché d'être un grand défenseur, notait Jean-Louis Garcia dans So Foot après la Coupe du monde 2018. Sergio Ramos par exemple, qui est roublard, truqueur, il va devoir s'adapter." En témoignent les 29 penalties accordés durant la Coupe du monde en Russie, quand le précédent record était de… 18 sur une même compétition.

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En clair, un défenseur va devoir défendre "propre" dans la surface. Plus encore qu’avant. Car toute faute dans ce secteur pourra aboutir (et, disons-le, aboutis toujours) au visionnage de la séquence grâce à l’assistance-vidéo, en tant que "situation possible de penalty". La main dans la surface d’Arturo Vidal lors de la défaite du Barça à Grenade samedi ne pouvait qu’amener un penalty, le VAR ayant été saisi. Et le moindre contact d’un défenseur sur un attaquant dans la surface aboutit forcément à une situation de penalty, en témoignent le duel entre José Callejon et Andrew Robertson lors de Naples-Liverpool mardi dernier (2-0) ou la couverture de Koray Günter sur Juan Cuadrado samedi lors de Juve-Vérone (2-1). Dans les deux cas, penalty immédiat. La gravité de la faute n’entre plus guère en ligne de compte.

Une mauvaise nouvelle? Pas pour tout le monde. "Cela demande des joueurs un peu plus de concentration et un peu plus d’analyse pour bien se comporter et intervenir, résume Claude Puel à notre micro. Je dirais que c’est plutôt positif." Car après tout, on peut considérer qu’un football avec le moins de fautes possible est plus souhaitable. L’ancien sélectionneur de l’Écosse Andy Roxburg y voyait un "effet dissuasif sur les poussées" dans la surface et "les tirages" de maillot. "Cela a été presque éliminé maintenant et cela signifie que les joueurs ont plus de liberté pour bouger", estimait-il sur Sky Sports il y a un an.

Plus compliqué sur les coups de pied arrêtés?

Au défenseur, donc, de s’adapter et de développer de nouvelles qualités. Cela passe par une couverture parfaite ou presque des attaquants adverses pour éviter les départs rapides en contre. Et une bonne anticipation de ses gestes aux abords et dans la surface. Reste un point précis sur lequel la tâche s’annonce encore plus délicate: les coups de pied arrêtés.

L’Angleterre l’avait déjà bien expérimenté durant la compétition, avec son fameux petit train de joueurs alignés les uns derrière les autres sur corner, dans la surface, prêts à dégainer leur tête sur un ballon brossé de Kieran Trippier. Le marquage individuel devient ultra dangereux… ce qui aboutit donc, à moyen et long terme, à l’avènement du règne de la défense en zone. C’est le seul moyen de ne pas prioriser l’adversaire, qui passe après le ballon et l’espace autour du ballon dans l’ordre des tâches à faire et des cibles à surveiller pour le défenseur.

Jean-Louis Garcia louait, après la Coupe du monde, la technique des Croates face à l’Angleterre en demi-finale (2-1). "Vu que les mecs sont impossibles à prendre en individuel – sauf en faisant faute – à cause de cette stratégie, les Croates ont adopté une répartition cohérente de leurs défenseurs sur les zones où était susceptible d'arriver le ballon, racontait-il dans So Foot. Ce qui en plus permet aux défenseurs d'attaquer le ballon et non de l'attendre, comme c'est souvent le cas dans un marquage individuel, puisque le défenseur doit suivre son homme." La parade? Les combinaisons.

Un corner joué à deux et vous désorganisez complètement le système de défense en zone de l’adversaire. Surtout si vous parvenez à insuffler de la vitesse d’entrée, avec un jeu en une touche de balle. Liverpool est coutumier du fait. Ce dimanche encore, à Chelsea, le missile de Trent Alexander-Arnold est venu d’un coup franc joué à deux, avec une première passe à peine appuyée de Mohamed Salah pour le latéral: les Blues n’ont pas eu le temps de sortir sur le joueur, qui n’avait plus qu’à tenter sa chance de loin. En clair, la défense en zone, c’est bien. Mais avec des défenseurs qui bougent sans arrêt, c’est mieux. Et le VAR n’est pas étranger à l’uniformisation progressive de ce système dans la surface.

Tenter un coup tactique lors des interruptions du VAR

Reste une dernière influence potentielle du VAR sur la tactique. En fait, ce sont plutôt les défauts du VAR qui le permettent: les ajustements en plein match durant les interruptions de jeu par l'assistance-vidéo. Vous savez, ce moment où les joueurs viennent généralement boire une gorgée d'eau dans la zone technique de leur entraîneur. Quoi de mieux pour recevoir quelques consignes? Bah oui, c'est quand même plus simple que de ne pas pouvoir entendre ce que votre coach vous hurle à 40 mètres de distance ou de devoir jouer au téléphone arabe après avoir transmis des consignes au capitaine ou au latéral!

Sylvinho, qui aime tant échanger avec ses joueurs - particulièrement Thiago Mendes, pour le replacer en fonction du schéma décidé - mais aussi des fous de tactiques comme Pep Guardiola ou Maurizio Sarri auraient tort de s'en priver. Seul inconvénient? Les instances font tout pour réduire le temps d'interruption dû aux appels au VAR, comme les arbitres en ont reçu l'ordre en Premier League cette saison. Solution éphémère donc. Mais après tout, sur un match de Coupe par exemple...

Apolline BOUCHERY (@apobouchery)