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Equipe de France: Le Graët peut-il être évincé de la présidence de la FFF?

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Sous le feu nourri des critiques et ciblé par un audit, Noël Le Graët se retrouve fragilisé à la tête de la Fédération française de football (FFF) même si les règlements protègent sa position à laquelle il semble désireux de s’accrocher jusqu’à la fin de son mandat jusqu’en 2024.

Les accusations de harcèlement sexuel et ses sorties médiatiques souvent lunaires lui valaient déjà des critiques nourries. Mais s’en prendre à l’icône du football français déchaine les passions dans des proportions bien plus fortes encore. Noël Le Graët, président de la Fédération françaises de football (FFF), a franchi la ligne rouge du cœur, dimanche dans Bartoli Time sur RMC, en répondant avec dédain et grossièreté aux questions sur l’avenir de Zinedine Zidane après la prolongation de contrat de Didier Deschamps alors qu’il était annoncé comme son possible successeur.

Le peu de respect manifesté pour celui qui est considéré comme le meilleur joueur français de l’histoire (avec Michel Platini) a engendré une vague de consternation menée par Kylian Mbappé, l’icône moderne du foot français. Cela s’est vite répandu à la classe politique condamnant de tous bords la sortie "hors sol" du patron de la plus puissante Fédération sportive en France. La ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, a réclamé des "excuses". Et c’est à peu près tout ce qu’elle peut exiger. "La ministre peut demander des excuses, exprimer son indignation, sa réprobation, ce qu’elle fait mais elle ne peut pas démettre Noël Le Graët", a rappelé Roselyne Bachelot, ancienne ministre des Sports (2007-2010), ce lundi dans les Grandes Gueules sur RMC.

Le précédent Gailhaguet

Car, malgré cette fronde unanime contre lui, Noël Le Graët est solidement accroché à son poste de président de la Fédération française de football qu’il occupe depuis 2011 et jusqu’en 2024. Et, à défaut de soutien populaire, le patron du foot français s’appuie sur un règlement en sa faveur. Peut-il alors être poussé vers la sortie avant la fin de son mandat? Une chose est sure, ses propos contre Zidane ne l’exposent à rien.

La FFF, comme les autres Fédérations, est chargée d’une mission de service public déléguée par l’Etat et le ministère de tutelle (en l’occurrence celui des Sports) a des moyens d’actions limités. Cela s’était illustré en 2020 lors du scandale à la fédération de patinage artistique où le président Didier Gailhaguet avait été accusé de ne pas avoir signalé des affaires d’abus sexuels. Alors ministre des Sports, Roxana Maracineanu avait poussé ce dernier à démissionner étant dans l’incapacité de démettre de ses fonctions un membre élu démocratiquement. "Le cas de monsieur Gailhaguet, c’est simplement un président bénévole d’une association à qui on demande de prendre ses responsabilités, confiait-elle. En effet, la fédération est une association. Les statuts précisent que c’est l’instance de son conseil fédéral qui peut limoger son président."

Un vote de défiance ou une démission

En effet, seule une assemblée générale extraordinaire demandant un vote de défiance peut agir (cf article 12 des statuts en encadré). En cas d’éviction, les statuts prévoient que le vice-président (Philippe Diallo, actuellement) assure l’intérim jusqu’à la fin du mandat en cours. Les Ligues et les Districts avaient déjà peu goûté le comportement de La Graët, samedi lors de l’AG quand Didier Deschamps a lui-même annoncé sa prolongation de contrat dans une manœuvre perçue comme un pied de nez à la gouvernance de la FFF. Les propos tenus dimanche soir ont davantage attisé cette défiance naissante à l’égard de Le Graët.

L’article 12 des statuts de la FFF
Article - 12 Attributions

1. L'Assemblée Fédérale peut mettre fin au mandat du Comité Exécutif avant son terme normal, par décision motivée et dans le respect du contradictoire, par un vote intervenant dans les conditions ci-après :
– l'Assemblée Fédérale doit avoir été convoquée à cet effet à la demande du quart de ses membres représentant au moins le quart des voix, éventuellement sur proposition de la Haute Autorité du Football, et ce, dans un délai maximum de 2 mois ;
– les deux tiers des membres de l'Assemblée Fédérale doivent être présents ou représentés;
– la révocation du Comité Exécutif doit être votée à bulletin secret et à la majorité absolue des suffrages exprimés.
Cette révocation entraîne la démission du Comité Exécutif et le recours à de nouvelles élections dans un délai maximum de deux mois. En cas de révocation, l’Assemblée Fédérale désigne la ou les personnes en charge des affaires courantes jusqu’à la prise de fonction des nouveaux membres du Comité Exécutif élus.
2. L’Assemblée Fédérale peut également mettre fin au mandat de la Haute Autorité du Football dans les conditions fixées au paragraphe 1 du présent article. Cette révocation entraîne la démission de la Haute Autorité et le recours à de nouvelles élections dans un délai maximum de deux mois.
3. Les nouveaux membres du Comité Exécutif, ou de la Haute Autorité du Football, élus à la suite du vote de défiance de l'Assemblée Fédérale, ou en cas de vacance, n'exercent leurs fonctions que jusqu'à l'expiration du mandat initial des membres qu’ils remplacent.

Celle-ci est bien plus affirmée chez Amélie Oudéa-Castéra, actuelle ministre des Sports, exaspérée par la désinvolture de Le Graët face aux accusations dont il fait l’objet. Car la FFF, et Le Graët par ricochet, fait l’objet d’un audit commandé par Oudéa-Castéra sur la gouvernance au sein de l’instance après de nombreux témoignages sur l’ambiance de travail délétère dans un article de So Foot. Le Graët y était même accusé de harcèlement sexuel, ce qu’il a toujours démenti. Hasard du calendrier, le président de la FFF sera d’ailleurs entendu une nouvelle fois mardi par un enquêteur de de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR). Les conclusions de l’audit seront rendues fin janvier avant une enquête contradictoire avec la FFF, puis une restitution à la mi-février.

Selon les premiers éléments, aucun signalement de faits relatifs à l’article 40 de procédure pénale n’a été effectué par les responsables de la mission d’inspection. Celui-ci dispose que "toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs".

L’ingérence politique sévèrement punie par la Fifa

Hormis un vote de défiance lors d’une AG extraordinaire, la seule possibilité d’un départ de Le Graët reste une démission de sa part. Ce qu’il ne semble pas envisager comme en témoignent ses étonnants propos sur la manière dont il envisageait sa succession en 2024. Le ministère des Sports a bien le pouvoir de retirer une délégation à une Fédération pour plusieurs raisons énumérées dans le code du sport (les articles R131-29, R131-30, R131-31). Dans le contrat de délégation, chaque Fédération s’engage notamment à une "bonne gouvernance de la fédération et de ses organismes régionaux et départementaux" même si l’article en question (R131-28) ne figure pas parmi les causes de retrait, qui reste une mesure exceptionnellement rare et extrême.

Le ministère n’a donc pas le pouvoir de virer le Graët, d’autant que la Fifa veille. L’instance internationale interdit l’ingérence politique au sein des Fédérations sous peine de sanction pouvant aller jusqu’à l’exclusion des compétitions des équipes de France, comme ce fut le cas en 2021 pour le Tchad et le Pakistan.

Nicolas Couet avec NP et JRe