Premier League: Unai Emery réussira-t-il le pari de l’après-Wenger à Arsenal?

- - AFP
C’est une ombre qui plane au-dessus de votre tête, qui ne vous lâche jamais et à laquelle tout le monde se réfère. C’est un gourou qui a fait des petits partout en Angleterre voire même en Europe. C’est une icône devenue certes un peu encombrante mais qui ne verra jamais sa photo décrochée du mur. Arsène Wenger est parti comme un roi qui abdique pour mieux préparer l’intronisation de son successeur, même si cette abdication s’est avérée un peu forcée. Il emporte avec lui le souvenir mémorable d’un Arsenal qui gagnait tout et régnait sur le football britannique.
C’est comme si les Gunners avaient enfin tourné une page pour basculer du glorieux passé au chantier présent. Un chantier oui, car on ne sort pas de plus de deux décennies – dont une de marasme ou presque – sans devoir tout changer. La tâche est immense, la pression l’est tout autant et tout repose sur les épaules d’Unai Emery, dont l’arrivée a été officialisée fin mai.
La crainte de l’effet Ferguson?
Arsenal aura sans doute bien observé son vieil ennemi pour tenter de gérer au mieux la passation de pouvoir. En 2013, Alex Ferguson quittait Manchester United sur un 13e titre de champion d’Angleterre, après 26 ans de règne. Des adieux de rêve… qui ont plongé le club sur une pente descendante… voire carrément à pic. David Moyes n’avait pas les épaules, Louis van Gaal n’a pas su se faire adopter et José Mourinho demeure pour l’heure dans l’ombre de Pep Guardiola, même si le club a de nouveau conquis des trophées (notamment la Ligue Europa en 2017).

Après l’annonce du départ d’Arsène Wenger en avril, Ivan Gazidis avait promis que le club se montrerait "courageux et ouvert d’esprit" pour nommer son nouvel entraîneur. Comprenez qu’il s’agissait de faire un choix fort, et non de tenter une transition en douceur avec un manager dans le moule, presque quelconque. C’est finalement Unai Emery, un temps approché par la Real Sociedad, qui a été choisi. D’emblée, lui-même a compris l’importance d’assumer l’héritage wengerien. "Merci Arsène Wenger pour ton héritage, saluait Unai Emery dès sa première conférence de presse. Il est une référence pour les entraîneurs du monde entier. Grâce à lui, j’ai appris tout ce que je sais du football." Il faut savoir honorer les légendes, particulièrement en Angleterre.
Emery est bien accueilli en Angleterre
Cette nomination a été accueillie favorablement outre-Manche, le Basque jouissant à l’étranger d’une cote peu atteinte par ses échecs parisiens. Ancien membre des mythiques Invincibles, Robert Pirès estimait même mi-juillet que le nouveau manager était la meilleure recrue estivale d’Arsenal. "Selon moi, la meilleure recrue c’est Unai Emery, expliquait le Français sur Sky Sports. Je crois bien sûr toujours en tous les joueurs, notamment les nouveaux. Mais pour Unai Emery, l’important, c’est de très bien démarrer. Il sait qu’il est à la tête d’une grande équipe, dans un grand club, il sait qu’il a beaucoup de pression. Mais je crois qu’il a beaucoup de caractère et un très bon état d’esprit. Il a gagné en Espagne, il a gagné en France, il a beaucoup d’expérience… Je pense qu’il va connaître le succès avec le club."
Correspondant en Angleterre pour RMC Sport, Philippe Auclair résumait l’affaire fin mai en disant de l’arrivée d’Emery qu’il s’agissait d’une surprise heureuse: "C’était une énorme surprise puisqu’on ne parlait plus que de Mikel Arteta, y compris des sources très très proches du board d’Arsenal. Enorme surprise mais excellent choix. Pourquoi ? Quand on pense à l’état dans lequel se trouve Arsenal, l’effectif actuel, sa position au classement… C’est un club qui a besoin d’une reprise en main, un vestiaire qui a besoin d’une reprise en main, qui ont besoin de quelqu’un ayant à la fois de l’expérience mais suffisamment jeune pour être proche de ce vestiaire, ayant les idées tactiques qui conviennent."
Part-il de loin? Pas si sûr…
La panoplie parfaite, Unai Emery semble l’avoir. Quoi que son passage au Paris Saint-Germain ait pu laisser penser. A Arsenal, il jouira d’une structure de club forte, à l’autorité indéniable et avec un board qui ne s’immiscera pas dans le sportif. Il aura donc les rênes et pourra mettre en place SON système, SES méthodes, SES idées. Le chantier est vaste. Mais il n’est pas impossible, car le passage de témoins a, contre toute attente, été plutôt bien préparé.
Si les dernières années ont été délicates pour le club, Arsène Wenger a laissé une situation relativement saine. Economiquement d’abord: les années de vache maigre ont servi à financer la construction de l’Emirates Stadium, aujourd’hui largement rentable, et d’asseoir un contexte financier pérenne. Sportivement, tout n’est pas génial, en témoigne cette sixième place sauvée de justesse après avoir résisté aux assauts de Burnley et cette deuxième année consécutive sans Ligue des champions.
Mais pour voir le verre à moitié plein, Arsène Wenger a laissé à Unai Emery un effectif en transition. Rappelons que c’est bien l’Alsacien qui est parvenu (car oui, c’est lui qui avait la main sur les transferts, ce que n’aura pas son successeur) à faire partir un Alexis Sanchez à six mois de la fin de son contrat en obtenant un échange avec Henrikh Mkhitaryan, lui encore qui a recruté Pierre-Emerick Aubameyang l’hiver dernier, lui qui avait convaincu Alexandre Lacazette l’an dernier… un secteur offensif compétitif, qui a commencé à trouver ses marques en fin de saison dernière et qui affiche de belles promesses.
Un recrutement très bien géré
Le board aussi a facilité l’installation d’un nouvel entraîneur, en ôtant peu à peu quelques responsabilités à Arsène Wenger, avant de lui montrer le chemin de la sortie. Alors qu’il gérait presque seul le mercato du club – rôle de super-manager oblige, le Français avait vu débarquer en novembre dernier un certain Sven Mislintat en tant que chef du recrutement. Tout sauf un inconnu, l’homme ayant géré le recrutement du Borussia Dortmund, avec des coups comme Ousmane Dembélé… ou Pierre-Emerick Aubameyang, qu’il aura donc fait venir à Londres. Surnommé "l’œil de diamant", il fut sans doute l’un des gros coups d’Arsenal sur l’ensemble de la saison dernière.
C’est ce club en mutation qu’a intégré Unai Emery (avec un directeur général, Ivan Gazidis, qui serait d’ailleurs courtisé par le Milan AC mais dont le coach ne croit pas au départ). Et c’est cette nouvelle équipe qui a mené le mercato des Gunners ces dernières semaines. Un recrutement précis, intelligent, qui démontre déjà que le Basque avait identifié les principales failles du club.
Les failles ont été identifiées et comblées
Stephan Lichtsteiner arrivé libre de la Juve dès début juin pour l’expérience et pour occuper un couloir droit dans lequel Hector Bellerin s’est montré trop inconstant (il peut aussi jouer en charnière), Bernd Leno recruté au Bayer Leverkusen dès le 19 juin pour pallier les bourdes récurrentes d’un Petr Cech en fin de carrière, Sokratis Papastathopoulos venu de… Dortmund évidemment pour entrer dans la rotation en défense (surtout en l’absence de Laurent Koscielny, victime d’une rupture du tendon d’Achille et qui ne reviendra pas avant décembre), Lucas Torreira dans un profil de milieu de terrain à la Marco Verratti avec une frappe en plus et le prometteur Matteo Guendouzi venu de Lorient et qui a déjà impressionné en match amical contre le PSG (5-1)
Les besoins urgents ont été comblés et Arsenal travaille encore à des pistes additionnelles. Pour du bonus en somme. Les noms de Steven N’Zonzi (finalement proche de la Roma), Ousmane Dembélé (tiens, encore un ancien de Dortmund) ou Kingsley Coman ont notamment circulé. Mais à l’heure actuel, le onze de départ possible du club semble déjà compétitif : Leno, Lichtsteiner, Sokratis, Mustafi/Mavropanos, Kolasinac (pour l'heure blessé) ; Xhaka, Torreira, Özil, Mkhitaryan, Aubameyang, Lacazette. Avec un Aaron Ramsey qui pourrait entrer dans la rotation. Plutôt séduisant.
Du pressing et de l’intensité
A quoi faut-il s’attendre côté jeu? L’une des principales failles de l’équipe d’Arsène Wenger était son manque d’intensité, ou du moins son incapacité à maintenir un niveau constant sur tout un match. Quand on connaît Unai Emery et son amour du pressing haut et intense. "A chaque match, vous attendez de vos joueurs qu’ils dégagent de l’intensité, un côté agressif, qu’ils montrent qu’ils veulent gagner et qu’ils sont prêts à travailler dur pour gagner, résumait l’entraîneur espagnol lors de sa visite à l’Emirates le 24 juillet. Nous voulons le faire avec style, avec personnalité. Nous voulons que chaque joueur crée des choses et trouve des solutions quand il a le ballon. Et quand nous n’avons pas le ballon, nous voulons montrer notre envie de le récupérer rapidement."

De la discipline, de l’énergie, du pressing… Dans un entretien accordé à Daniel Riolo pour RMC Sport en fin de saison dernière, Unai Emery tenait à peu près le même discours à propos du PSG. "Je pense que l’équipe aujourd’hui est plus agressive que lorsque je suis arrivé, détaillait-il alors. Par les caractéristiques de l’équipe… parce qu’à un moment donné, l’équipe est plus à l’aise dans une situation de jeu posée, et j’aime bien ça! Ce que je veux, c’est une alternance, mais à ce moment-là, l’équipe ne répondait pas à cette alternance. En résumé, j’ai initié un processus, difficile, mais qui est reconnu. Et ce processus sera bénéfique pour l’avenir. [...] Nous avons beaucoup travaillé ces détails avec l’équipe, et je pense qu’ils sont visibles. Et pas uniquement les choses générales comme l’intensité dans le jeu ou le système de jeu, mais aussi les détails comme les stratégies, les corners, les coups-francs, le travail défensif individuel, les situations d’attaques équilibrées… Je pense que l’équipe a travaillé tout ça, les joueurs l’ont dit et il y a aussi eu des améliorations des joueurs au niveau individuel."
L’importance du milieu de terrain
L’aspect essentiel se jouera sans doute au milieu de terrain. Et contrairement à Arsène Wenger, le nouveau manager aura du choix. Entre Xhaka, Torreira, Ramsey, Özil, Elneny voire un Mkhitaryan plus reculé... les options sont multiples. Un trio Xhaka-Torreira-Ramsey sera performant dans l’intensité, Mesut Özil peut apporter un aspect plus technique tout comme Henrikh Mkhitaryan. Selon l’adversaire, Unai Emery pourra s’adapter. Un vrai luxe, surtout à Arsenal. Mais toujours avec une veine offensive, celle que lui affectionne et celle qu’aime tant les supporters. Car même en l’absence de résultats, on s’est rarement ennuyé en regardant un match du club londonien (dans le bon et le moins bon d’ailleurs). Premier test… face à Manchester City le 12 août (17h en direct sur RMC Sport), lors de la première journée de championnat.
Des méthodes qui devront être acceptées
Un défi qui demandera du travail. "Unai Emery adore travailler, confiait sur Sky Sports Bruno, son ancien joueur à Valence. Il passe tellement d’heures à travailler, sur et en dehors du terrain… Je crois que l’un de ses points forts, c’est sa façon de préparer les sessions d’entraînement et la façon dont il analyse l’adversaire. On a vu en Premier League avec Manchester City à quel point ils performaient. Ce n’était pas juste grâce à leur talent, mais aussi parce qu’ils étaient très préparés. Dans le football moderne, c’est très important."
Comme le contait Sky Sports, Unai Emery fut l’un des premiers entraîneurs à utiliser les données GPS et passait, au début de sa carrière, des heures à faire lui-même des montages vidéo des matches qu’il décortiquait. Et il s’amusait à tester le travail hors terrain de ses joueurs… en leur donnant une clé USB contenant des informations sur l’adversaire. Il testait même parfois l’assiduité de son effectif en s’amusant à ne rien mettre sur cette clé, pour voir si le lendemain, le joueur avait eu la décence d’en regarder le contenu. "Il fallait qu’on la regarde si on voulait être bon", résumait Bruno. Des méthodes qui peuvent aussi déplaire à certains membres de l’effectif, craignant de sortir de leur zone de confort. Mais chez les Gunners, il n’y a pas de passe-droit, pas de prise de pouvoir d’un joueur comme Unai Emery en a souffert à Paris.
Arsenal est un club patient. Il l’a prouvé en laissant à Arsène Wenger le temps de se retourner, de tenter de redresser la barre… au point de presque trop attendre pour lui montrer la porte de sortie. Les Gunners ne sont pas du genre à virer un entraîneur sur un coup de tête, pas tant que celui-ci n’aura pas installé son équipe et imprimé sa marque. Ce n’était pas le cas au Paris Saint-Germain, où il y a d’autres urgence. Après tout, cela fait 14 ans que le club attend un nouveau sacre en Premier League…