Roland-Garros: du placement des bouteilles au service, les rituels et tocs de Nadal sur le court

Il balaye la ligne de fond de court avec son pied. Ensuite, vient un coup de raquette sur la chaussure gauche puis la droite pour les dépoussiérer. Un réajustement de ses sous-vêtements, des caresses sur l’oreille gauche d’abord puis la droite pour replacer d'éventuelles mèches, entrecoupées par une tape sur le nez et un ajustement de son tee-shirt. La routine de service de Rafael Nadal est connue depuis longtemps du grand public. Au moment de rencontrer Alexander Zverev (3e mondial), le Majorquin ne devrait pas déroger à ses habitudes qui semblent lui réussir depuis ses débuts chez les professionnels en 2001.
Avec 13 trophées à Roland-Garros, quatre sur l’US Open et deux sur Wimbledon et l’Open d’Australie, assortis de 70 autres succès en tournoi, Nadal a d’ores et déjà marqué l’histoire du tennis. Mais il restera aussi le joueur à la routine imperturbable.
Il n'y a pas seulement sa mise en jeu: l’actuel numéro 5 mondial a tout un tas de rituels, de son entrée sur le court jusqu’à la cérémonie de remise du trophée. Lorsque Rafael Nadal prendra place sur le court Philippe-Chatrier vendredi, ce sera sûrement avec sa raquette dans la main gauche pour pouvoir saluer le public de la main droite. Lors du tirage au sort, l’Espagnol sautillera sur place avant de rejoindre la ligne de fond par un sprint, histoire d’évacuer la pression d’avant match.
Entre les points, Nadal ne pose jamais un pied sur les lignes du court. Lors des interruptions, il pose les deux bouteilles à ses pieds, devant sa chaise à sa gauche, l'une derrière l'autre, en diagonale vers le terrain. Au millimètre près, au point d'ajuster le tout s'il juge le décalage trop important. Et même lorsque le match est fini et que le recordman de victoires sur Roland-Garros a terrassé son adversaire, il applique sa routine en croquant systématiquement le trophée qu’on lui remet.
Clément Le Coz, psychologue du sport et préparateur mental, estime que cette routine est un moyen de se mettre dans les meilleures dispositions avant un point: "Le fait de se fixer des routines de performances qui sont quand même très marquées, ça permet de se mettre dans une sorte de bulle et de s'installer psychologiquement dans un état optimal de performance et de concentration à chaque point. Parce que c’est l’une des ses forces de prendre chaque point les uns après les autres et cette routine n’est pas anodine."
"Dans une routine, on peut mettre un petit peu ce qu’on veut, ce qui permet au sportif d’être sûr de ne rien oublier. Par exemple Nadal avant de servir, il est sûr de ne rien oublier, comme la tactique sur le point suivant", poursuit le psychologue.
Des propos confirmés par l'intéressé, pour qui le fait d’avoir une routine est propre à l’espèce humaine: "Les êtres humains ont besoin de routine et d’une certaine stabilité pour assurer un bon résultat. Je mets toujours en ordre les choses qui sont vraiment importantes, insistait-il dans le cadre du circuit de tennis qu’il organise avec MAPFRE en 2020. Ma routine avant chaque match de tennis suit la même logique. J'essaie de m’entrainer parfaitement tous les jours cela me donne de la confiance et me garantit un peu de tranquillité d'esprit de savoir que les choses vont bien se passer pour moi ou du moins que je fais tout ce que je peux pour que les choses aillent bien."
Tous ces rituels bien rodés, répétés machinalement depuis plus d’une vingtaine d'années, ont parfois été sujet à moquerie. Lors de Wimbledon 2007, le Majorquin affronte le Suédois Robin Söderling au troisième tour. Alors que le taureau de Manacor s'apprête à servir, le Suédois l'interrompt et remet grossièrement son short en place devant un Nadal n’appréciant pas vraiment la référence. Ironie de l’histoire, ce même Soderling devient le premier joueur à vaincre Rafael Nadal à Roland-Garros, en 2009, malgré sa routine. Preuve à l'époque, pour Nadal, que ces rituels n’ont rien de superstitieux: “Certains appellent cela de la superstition, mais ce n'est pas le cas. Si c'était de la superstition, pourquoi continuerais-je à faire la même chose encore et encore, que je gagne ou que je perde? C'est une façon de me placer dans un match, je mets en ordre mon entourage de façon à ce qu’il suive l'ordre que je cherche dans ma tête"
A force de répéter instinctivement cette routine, la question de la dépendance peut se poser. Le numéro un mondial peut-il se retrouver prisonnier de cette habitude? Pour Clément Le Coz, la réponse est claire: "Il n'y a pas de danger de dépendance parce que le but du préparateur sportif c'est d'amener le sportif à son autonomie. C’est à dire qu’il va co-créer des routines de performances mais le sportif va être à même de les changer, les adapter selon l'adversaire ou le contexte. Le fait de se reposer sur une routine de performance, ce n'est en aucun cas un signe de faiblesse. Au contraire, selon moi, c’est signe de force, d’ouverture. Ce sont souvent des gens qui vont chercher un peu plus loin que les autres et ce sont souvent eux qui ont les meilleures performances."
Même son de cloche pour Nadal. Selon lui, elles n’ont rien d'envahissant. "Je ne suis pas esclave de la routine: ma vie change tout le temps et la compétition est très différente de l'entraînement, précise celui qui est aussi un grand supporter du Real Madrid pour le Corriere della Sera. Ce que vous appelez les tics, c'est une façon de mettre de l'ordre dans ma tête, pour moi qui suis normalement très désordonné. Ils sont le moyen de concentrer et de faire taire les voix à l'intérieur. Ne pas écouter la voix qui me dit que je vais perdre, ou la voix encore plus dangereuse qui me dit que je vais gagner."
Simple routine pour se concentrer ou alors véritable superstition indispensable à sa réussite, Rafael Nadal, handicapé par une blessure au pied, aura besoin que toutes les planètes soient alignées afin de se qualifier pour la 14e finale de Roland-Garros de sa carrière sur 18 possibles. En face, il retrouvera le très démonstratif Alexander Zverev, pas toujours hermétique à la pression. Entre la mécanique bien huilée de Rafael Nadal et le tempérament agité de l’Allemand, c’est une véritable opposition de style que propose cette première demi-finale de Roland-Garros ce vendredi à 14h45.