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Merckx, Cruyff, Zidane... Avant LeBron et Bronny James, ces itinéraires si particuliers de "fils de" légendes du sport

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Bronny James, fils de LeBron James, s’apprête à faire ses grands débuts en NBA sous le maillot des Los Angeles Lakers. Le jeune homme (20 ans), à qui l’on colle une étiquette de pistonné, va essayer de sortir de l’ombre imposante de son père. Un immense défi auquel ont été confrontés de nombreux "fils de" légendes du sport dans l’histoire.

À 39 ans, LeBron James a pris l’habitude de repousser les limites du surnaturel. Et après avoir réussi l’exploit d’être encore l’un des meilleurs joueurs du monde à l’aube de sa 22e saison en NBA, le joueur des Los Angeles Lakers, grand fan de la comédie-fantastique Beetlejuice, va encore plus loin dans le paranormal en propulsant un 55e choix de la draft au centre de l’actualité.

Pour trouver le rookie qui enflamme le monde du basket, il convient en effet de prendre le classement de la dernière draft par la fin. Une fois égrainés les noms d’Ariel Hukporti, Ulrich Chomche et Kevin McCullar, trois jeunes qui auront bien du mal à marquer la NBA de leur empreinte, nous voici déjà à Bronny James, le N°55 de draft qui suscite le plus d’engouement de toute l’histoire de la ligue. En débarquant en NBA, le fils de LeBron éclipse toutes les autres jeunes recrues de cette cuvée 2024, les Français Zaccharie Risacher (N°1) et Alexandre Sarr (N°2) en tête.

Bronny James et LeBron James lors du match de pré-saison NBA entre les Los Angeles Lakers les Phoenix Suns - 06/10/2024
Bronny James et LeBron James lors du match de pré-saison NBA entre les Los Angeles Lakers les Phoenix Suns - 06/10/2024 © Adam Pantozzi / NBAE / Getty Images / Getty Images via AFP

Bronny James, une image de pistonné

Les fils Zidane, Romeo Beckham, Mick Schumacher, Marcus et Khephren Thuram, Joakim Noah… L’histoire regorge d'exemples de filiation père-fils dans le sport. Mais le cas de LeBron et Bronny est unique. D’abord car les deux hommes vont jouer ensemble dans la même équipe. Ensuite car le fiston débarque dans la meilleure ligue de basket au monde accompagné de nombreux doutes autour de son niveau.

Bronny James sort effectivement d’une saison plus que discrète à USC (Université de Californie du Sud). Pour sa première et seule expérience en NCAA, à l’échelon le plus élevé du championnat universitaire américain, il a compilé 4,8 points (à 36% au shoot), 2,8 rebonds et 2,1 passes décisives en 19 minutes par match. Loin, très loin des statistiques d’un joueur dominant.

Freiné par un malaise cardiaque survenu à l’entraînement en juillet 2023, un souci de santé qui l’a tenu éloigné des parquets pendant cinq mois, Bronny James a affiché quelques limites, avec de sérieuses interrogations sur son adresse au shoot et sa petite taille (entre 1,86m et 1,88m).

Malgré ces nombreux doutes sur sa capacité à s’imposer en NBA, Bronny James s’est vu offrir un contrat garanti aux Lakers jusqu’en 2027 (pour un total d’environ 5 millions de dollars sur trois ans), avec une possible prolongation à activer par la franchise californienne sur la saison 2027-2028. Ce type de contrat longue durée est rarissime pour un joueur drafté au-delà de la 30e place. De quoi renforcer cette image de pistonné qui lui colle à la peau.

"Je ne dis pas que ça ne sera pas un bon joueur NBA. C’est impossible d’insulter l’avenir et de savoir ce qu’il en est. Défensivement, il a de vraies qualités, il défend bien sur l’homme. Sauf que j’ai l’impression que LeBron James se sert de son fils pour rentrer dans l’histoire. De l’extérieur, j’ai l’impression que les Lakers sont un jouet pour lui", déplore Frédéric Weis dans le podcast Basket Time. "Ce gamin-là, en réalité, il doit faire encore un ou deux ans de fac. C’est un joueur lambda à la fac. L'anomalie est qu’il soit en NBA maintenant, il aurait dû parfaire son jeu en NCAA, progresser à la fac. Bronny James, tu mets un coup de pied dans un arbre, il y en 3000 qui tombent", appuie Stephen Brun, également consultant basket pour RMC Sport.

Épisode 204 : Que peuvent espérer LeBron et Bronny James aux Lakers cette saison ?
Épisode 204 : Que peuvent espérer LeBron et Bronny James aux Lakers cette saison ?
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Bronny James est ainsi la victime collatérale du système NBA, où les superstars, qui plus est quand on s’appelle LeBron James, peuvent influencer les dirigeants de franchise dans leur choix de recrutement. Mais l’aîné de la fratrie James - Bryce, le fils cadet âgé de 17 ans, joue au basket dans le circuit lycéen - est aussi l’incarnation de ce que représente la difficulté d’être un "fils de" dans le sport.

Jordi Cruyff: "Mon père et moi ne parlions pas de football à la maison"

LeBron James est la première légende de l’histoire de son sport à évoluer aux côtés de son fils. Mais d’autres ont tout de même eu l’opportunité de travailler étroitement avec leur progéniture. C’est notamment le cas de Johan Cruyff, qui a entraîné son fils, Jordi Cruyff, au FC Barcelone entre 1994 et 1996.

Le jeune milieu offensif, alors âgé de 20 ans, tentait tant bien que mal de se faire un prénom dans l’ombre de son paternel, triple Ballon d’or en 1971, 1973 et 1974. Avec une difficulté notable: faire face au regard des autres. "Je savais que certains joueurs seraient furieux si j'étais sélectionné et pas eux", a confié Jordi Cruyff auprès d’ESPN en 2016. "Je devais être extrêmement prudent. Si j'étais pote avec un joueur, nous ne pouvions pas être vus en train de socialiser en public, car les médias auraient pensé que le joueur essayait de me plaire, et donc de plaire à mon père."

"Tout cela a réellement changé ma personnalité. J'étais très extraverti, mais je suis devenu calme, sérieux. Je me recroquevillais sur moi-même", ajoute Jordi Cruyff.

Durant ses deux saisons au Barça, l’ancien milieu offensif, neuf sélections avec les Pays-Bas au compteur, a joué une grosse cinquantaine de matchs sous les ordres de son père. "Mon père et moi ne parlions pas de football à la maison. Maman me demandait comment ça allait, mais jamais devant Papa", a encore confié Jordi Cruyff. "Elle voulait que je parte en prêt du Barça. Elle souffrait déjà quand elle allait aux matchs parce que mon père était sous pression. Elle souffrait encore plus quand elle voyait son fils jouer dans une équipe dirigée par son mari."

Johan Cruyff et son fils Jordi Cruyff avec le FC Barcelone - 03/06/1995
Johan Cruyff et son fils Jordi Cruyff avec le FC Barcelone - 03/06/1995 © FP PHOTO ANP - THE NETHERLANDS OUT

Un père plus dur avec son fils qu’avec les autres?

Avant de partir à Manchester United ou encore au Deportivo Alaves, Jordi Cruyff a pu expérimenter une autre conséquence de travailler avec son père: ce dernier, soucieux de ne pas être accusé de traitement de faveur, se montrait particulièrement dur avec lui. "Sur le terrain d'entraînement, si je faisais une erreur, mon père s'en prenait à moi plus qu'à n'importe qui d'autre. Il voulait montrer qu'il ne me rendait pas service. Je pense que les joueurs respectaient ça."

Enzo Zidane a vécu la même expérience au Real Madrid, puisque son père, Zinédine Zidane, l’a entraîné lorsqu’il était à la Castilla, l’équipe réserve. C’est d’ailleurs le champion du monde 1998 qui lui a fait jouer son seul et unique match avec l’équipe première du Real, en novembre 2016 lors d'une rencontre de Coupe du Roi. "Tout le monde pense que tu ne mérites pas d'être là, que tu dois prouver 10 fois plus. Il était beaucoup plus dur avec moi qu’avec les autres. Il y a eu des moments où je pensais mériter un peu plus", a assuré Enzo Zidane au cours d’une interview au média Carré il y a quelques mois. "Après, c’est aussi dur d’être dans sa position, d’être le père et de faire jouer son fils. Pour lui, c’est un mélange, car d’un côté il veut que je sois heureux et que je joue, et de l’autre côté il ne veut pas que ça parle mal de moi… Donc gérer ça, c’est hyper dur."

Enzo Zidane et son père Zinédine Zidane lors du match de la Castilla, la réserve du Real Madrid - le 16/11/2014
Enzo Zidane et son père Zinédine Zidane lors du match de la Castilla, la réserve du Real Madrid - le 16/11/2014 © Rivero / Marca / Icon Sport

LeBron James: "Il ne peut pas m’appeler 'Papa' au travail"

Avant de débuter sa première saison aux côtés de son fils, LeBron James a confirmé ce rapport ambigu. "Il ne peut pas m’appeler 'Papa' au travail, on en a déjà discuté. Une fois qu’on a quitté le terrain, je peux redevenir son 'papa', mais certainement pas au travail. Il ne peut pas courir sur le parquet me disant: 'Papa, donne moi la balle, je suis ouvert!' Il peut m’appeler 23, ou Bron… ou même Goat s’il le souhaite !", sourit le quadruple champion NBA.

Lorsqu’un jeune homme ou une jeune femme décide d’embrasser une carrière de haut niveau dans la même discipline que l’un de ses parents, il s’expose à d’inévitables comparaisons. Et elles sont généralement peu flatteuses si l’on part du principe que le géniteur est une légende de son sport.

"Même si je gagne quatre fois le Tour de France, les gens diraient: 'Ce n'est pas suffisant, son père en a gagné cinq'", imaginait Axel Merckx, fils d’un certain Eddy Merckx, au tout début de sa carrière dans les colonnes de VeloNews.

Ce constat peut d’ailleurs être appliqué au cas de Bronny James: quand son père est le meilleur marqueur de l’histoire de la NBA, n’importe quelle performance semble bien pâle à côté. Concrètement, même si Bronny James parvient à faire une carrière honnête, il fera toujours moins bien que son père. "Ils veulent que tu sois aussi bon que lui, mais tu ne peux pas parce que ce qu’il faisait, c'est d'un autre monde. C’est dur de grandir comme ça", a soufflé Enzo Zidane en mai dernier, quelques mois avant d’annoncer sa retraite, à 29 ans.

Des attentes démultipliées

Ces "fils de" doivent également faire face à des attentes démultipliées. Quand Axel Merckx n’était qu’un jeune cycliste tout à fait dans la moyenne en termes de niveau, ses adversaires voyaient en lui l’homme à abattre. "Au début, les parents des autres coureurs leur disaient: 'Attention, il faut finir devant Merckx’. On se mettait souvent dans ma roue", assurait le fils du Cannibale, par la suite devenu patron d’équipe, lors de ses débuts. "Je me demandais toujours: 'Pourquoi me font-ils ça? Je ne fais pas partie des meilleurs coureurs et je n'ai pas les résultats des autres'. Il ne suffit pas de dire: 'Parce que son nom est Merckx, c'est un bon coureur'. J'étais juste un coureur comme les autres. Certains ne comprennent pas ça."

Eddy Merckx et son fils Axel Merckx sur une étape du Tour de France - le 27/07/1998
Eddy Merckx et son fils Axel Merckx sur une étape du Tour de France - le 27/07/1998 © JOEL SAGET / AFP

"Personne ne me donne la chance d'être moi-même"

Pour les fils de légende, le principal enjeu est ainsi de ne plus être associé à leur illustre père. Un défi colossal, presque insurmontable. Dans un passé récent, ils ne sont qu’une poignée à avoir construit une solide carrière malgré l’ombre imposante de leur géniteur, à l’image des frères Marcus et Khephren Thuram ou de Joakim Noah. Mais si ces messieurs ont réussi à se faire un prénom, le lien avec le papa n’était jamais très loin dans l’esprit du grand public.

"Je n’ai jamais trop aimé qu’on me parle de mon père parce que c'est comme si on me mettait de côté", a résumé Enzo Zidane au printemps dernier.

"Je suis moi, pas mon père. Presque personne ne me donne la chance d'être moi-même", déplorait de son côté Axel Merckx dans les colonnes du New York Times à la fin des années 1990.

Bronny James, lui, répète qu’il préfère se comparer à des joueurs comme Jrue Holiday, Derrick White ou Davion Mitchell, des joueurs au profil bien différent de LeBron James. "Je veux juste que les gens sachent que je m'appelle Bronny James et que je ne suis pas identifié comme étant simplement le fils de LeBron James", clamait le nouveau joueur des Lakers avant sa draft, en mai dernier.

À l’aube de sa première saison, le jeune arrière est donc au pied d’une montagne. Avec une quête ultime: écrire sa propre histoire avec la NBA, loin de celle débutée par son père, il y a maintenant plus de 20 ans.

Felix Gabory Journaliste RMC Sport