Ses objectifs en 2025, Paris-Roubaix, la sécurité: l'interview intégrale de Tadej Pogacar dans Bartoli Time

Tadej Pogacar, merci d’avoir accepté notre invitation dans Bartoli Time sur RMC. Pour commencer, vous avez débuté la saison par une belle victoire avec votre équipe UAE Team Emirates sur l’UAE Tour. Comment vous sentez-vous?
Tout d’abord merci de me recevoir, c’est un honneur. Oui je me sens bien, j’ai passé une belle semaine sur l’UAE Tour avec mon équipe, on a remporté deux étapes et le classement général. C’était très important pour nous parce que c’est un Tour à la maison pour l’équipe, donc on a un peu de pression. Donc oui je suis heureux et j’ai passé une très belle semaine à la maison.
Votre année 2024 a été incroyable avec vos victoires sur Liège-Bastogne-Liège, le Giro, le Tour de France, les Mondiaux ou encore le Tour de Lombardie. Pensez-vous pouvoir faire encore mieux en 2025?
Je dis toujours que je veux faire mieux que l’année précédente mais tous les ans je fais tellement des années exceptionnelles que ça devient quasiment impossible de faire mieux. Mais l’année dernière, avec tout ce que j’ai fait, tout ce que l’équipe a fait, il y a une infime chance qu’on fasse encore mieux. Tout doit encore se passer merveilleusement bien pour que je puisse battre ces records. Donc je ne compte pas sur le fait d’être encore meilleur que l’année dernière, mais on a bien démarré la saison, on va essayer de continuer comme ça.
Vous serez à nouveau au départ du Tour de France cet été, avant d’enchaîner probablement avec la Vuelta. Pourriez-vous un jour imaginer de tenter sur la même année de gagner à la fois le Giro, le Tour de France et le Tour d’Espagne?
Cette année c’est sûr que je ne ferai pas les trois Grands Tours, l’objectif principal reste le Tour de France, essayer de défendre mon maillot arc-en-ciel aux championnats du monde, peut-être la Vuelta aussi. Mais oui je pense que dans les années à venir je voudrai faire les trois Grands Tours la même année. Mais d’abord regardons comment ça se passe en faisant deux par deux. Parce que la saison dernière était parfaite mais j’ai pu voir l’impact qu’avaient deux Grands Tours sur le corps. Vous êtes vraiment fatigué le reste de la saison, donc imaginer en faire trois, je pense que c’est vraiment dur. Mais peut-être qu’un jour, une année, on essaiera.
Vous avez déjà remporté trois des cinq Monuments (Tour des Flandres 2023, Liège-Bastogne-Liège 2020 et 2024, Tour de Lombardie 2021, 2022, 2023 et 2024). Avez-vous envie de vous attaquer à l’avenir à Paris-Roubaix? A-t-on une chance de vous voir au départ le 13 avril prochain? On vous a vu début février en plein effort sur la trouée d'Arenberg.
Seulement Paris-Roubaix et Milan-San Remo manquent à mon palmarès des Monuments. Milan-San Remo, j’ai été proche de le remporter à quelques occasions, mais c’est l’un des plus durs à gagner pour moi. Et oui j’ai fait une reconnaissance pour Paris-Roubaix, et je dois dire que cela a attiré mon attention. Peut-être que dans un futur proche oui, il y a une grande chance que j’en prenne le départ. Je ne peux pas dire si ce sera cette année ou l’année prochaine, je ne peux pas dire non au fait que ce soit cette année. Mais il y a toujours une chance ! On verra, laissons un peu de surprise, j’adore vraiment cette course. Je pense que ce sera trop dur pour moi, mais quand j’ai fait la reconnaissance je me suis dit que je pouvais peut-être le faire. Si je suis en forme, je pourrais peut-être essayer.
Quand prendrez-vous la décision de participer ou non à Paris-Roubaix cette année?
Pour l’instant je suis focus sur les Strade Bianche (8 mars) et Milan-San Remo (22 mars), après ces deux courses je pense que je prendrai ma décision. La décision devrait être prise la semaine qui suivra Milan-San Remo. Je n’attendrai pas longtemps parce qu’il y a un gros objectif à venir en juillet pour le Tour de France que je ne peux pas rater et je dois m’y préparer. Je prendrai une décision rapidement avec l’équipe, mais je ne veux pas me mettre trop de pression pour cette course.
Viser la victoire la même année sur les cinq Monuments, est-ce un défi envisageable dans le futur?
Je pense qu’il y a peu de chance. C’est sûr qu’il y a peu de chances de gagner cinq Monuments en une année. Je pense que c’est l’une des choses les plus dures à faire dans le cyclisme, parce qu’en gagner ne serait-ce qu’un seul c’est déjà quasiment impossible, alors gagner les cinq la même année, il faut être un des coureurs les plus chanceux si tu veux avoir les cinq.
Quel moment reste le plus marquant de votre carrière?
Évidemment le premier Tour de France (2020), c’était quelque chose de complètement impensable, je n’y avais jamais pensé, je n’en rêvais même pas, pour moi c’était quelque chose d’inatteignable. Quand je l’ai gagné la première fois c’était l’année Covid, c’était un Tour fantastique pour moi, tout est arrivé si vite, maintenant que je vieillis, je regarde derrière moi et je me rends compte à quel point c’était énorme et c’est un moment que je n’oublierai jamais. D’un autre côté je crois que les championnats du monde l’année dernière vont rester graver en moi tout le reste de ma carrière.
Vous avez 26 ans et un palmarès exceptionnel. À titre de comparaison, Eddy Merckx a été triple champion du monde sur route et a gagné au total onze Grands Tours. Avez-vous pour objectif de devenir le plus grand coureur de l’histoire ou êtes-vous avant tout concentré sur vos propres performances?
Je suis concentré sur moi, sur la façon dont je peux encore m’améliorer chaque année, combien je peux gagner et comment je peux faire pour être aussi bien que je le suis actuellement physiquement. Si ce niveau disparaît dans les prochaines années, je ne vais pas pousser mon corps au-delà des limites et foncer dans le mur. Je veux juste continuer comme je l’ai fait jusqu’à présent et je ne veux pas regarder les records à battre. J’essaie de faire de mon mieux sur chaque course chaque année et je continue de faire ce que l’équipe me dit de faire et j’essaie d’être un bon mec dans mon équipe.
Est-ce votre équipe qui vous a demandé d’attaquer à 100km de l’arrivée lors des derniers Mondiaux ? (rires)
Ça non, bien sûr parfois je désobéis, ou je ne les écoute pas. J’écoute plus ou moins le plan général et je suis (sourire).
Quels sont vos rapports avec les autres grands leaders du peloton tels que Remco Evenepoel, Mathieu van der Poel ou Jonas Vingegaard? Quand vous prenez le départ d’une course, ressentez-vous la crainte de vos adversaires?
Si quelques-uns d’entre nous, ou si on prend tous le départ ensemble sur une course, c’est super pour le monde du cyclisme, mais je pense que le reste du peloton est lui un peu déçu, parfois, s’ils voient tous les grands coureurs s’aligner sur la même course. Mais d’un autre côté c’est le sommet du cyclisme si on arrive à réunir les cinq, six meilleurs coureurs sur la même course et qu’ils se battent entre eux, tout le monde devrait être heureux et fier d’être là parce que selon moi c’est vraiment génial pour le cyclisme d’avoir des champions comme Jonas Vingegaard, Remco Evenepoel, Mathieu Van der Poel, Primoz Roglic et Wout Van Aert. C’est plutôt cool à voir.
Le cyclisme évolue énormément avec une course à l’innovation technologique. Malheureusement, ce sport est aussi touché par un nombre conséquent de chutes. Il semble parfois difficile de contrôler la vitesse des coureurs. Faut-il imposer des mesures pour réduire cette vitesse?
La technologie va plus loin à travers les nouveaux vélos, les nouveaux équipements, mais je pense que c’est normal dans le sport, dans l’industrie du sport, les gens veulent être meilleurs que tous les autres, donc on verra toujours des progrès au fur et à mesure des années, peu importe les règles. Je pense qu’il y aura toujours des accidents, peu importe les restrictions qu’il y aura. C’est aussi qu’aujourd’hui on médiatise plus les accidents qu’avant, je pense qu’il y a toujours eu des accidents. Les coureurs ont toujours été rapides dans les descentes, et peut-être que les 20/30 dernières années, tout n’était pas autant télévisé. Maintenant on peut voir plus ou moins toutes les courses sur internet, et donc on voit tous les accidents. C’est sûr qu’on en parle plus parce qu’on en voit plus. Ça ne veut pas dire que ça arrive plus souvent, elles avaient déjà lieu avant.
Pouvez-vous nous parler des améliorations effectuées sur votre vélo pour cette année?
Le nouveau vélo est assez rapide je dois dire, je me sens bien avec, on a toujours eu du mal sur le plat avec le vent de côté et là quand on était sur l’UAE Tour, tout le monde était content, sur le plat et même sur les montées ça allait alors que c’est plus lourd qu’un vélo d’ascension. Ce vélo est très aérodynamique donc je suis très content.
Pour le grand public, le cyclisme de haut niveau est souvent associé aux affaires de dopage. Malheureusement, vous continuez de payer le comportement de certains de vos prédécesseurs. Récemment, il y a eu une vive polémique autour du monoxyde de carbone. L'Union cycliste internationale a finalement annoncé l'interdiction de l'inhalation répétée de ce monoxyde de carbone. En tant que champion, comment vivez-vous avec les doutes qui planent toujours sur les grands champions?
Je pense qu’on paye le prix de ce qu’ils ont fait dans le passé. Si on prend l’exemple sur des performances d’il y a 15 ou 20 ans qu’on trouvait incroyables, on idolâtrait des coureurs qui trichaient. Maintenant ces fans qui les admiraient ont grandi, ils ont 40, 50, 60 ans, et ils gardent ça en tête, le fait que leurs héros étaient des menteurs. C'est toujours cette génération qui nous regarde et ils ne peuvent pas nous faire confiance à cause de ce qu’il s'est passé dans le passé. Je pense que ça va encore prendre quelques années, quelques générations avant que les suspicions ne disparaissent. Cette confiance que les gens ont perdue il y a quelques années, elle est impossible à reconquérir tout de suite. Et je ne peux pas les blâmer.
Pour revenir au sportif, à quoi ressemblerait selon vous une saison idéale en termes de résultats?
Toutes les courses majeures auxquelles je vais participer cette année, je ferais un combiné des courses que j’ai gagnées moi-même ou que mes coéquipiers ont gagnées. Le Tour de France, au moins un Monument, et les championnats du monde, ce serait un rêve pour cette année. Si à la fin de la saison on a remporté tout ça je serais très heureux, même si c'est un peu moins ça ne me dérangerait pas parce que c’est le jeu, et puis je peux revenir l’année suivante et réussir l’année suivante.
Vous avez un rapport très fort avec le public français. Est-ce un petit regret de ne pas avoir participé l’an dernier aux Jeux olympiques de Paris?
Si vous ne m’aviez pas posé la question honnêtement j’aurais déjà complètement oublié ce moment parce que la saison que j’ai eue l’année dernière était si bien, que même si j’étais allé aux JO, il y aurait eu de grandes chances que je ne gagne pas. Parce que c’était une course très particulière, j’aurais sûrement été juste déçu du résultat si j’y étais allé, et peut être que j’aurais fait des dégâts à mon corps et ma santé mentale pour les courses suivantes. Parce qu’après le Tour, je me suis reposé, j’ai pris quelques jours de congés, j’étais vraiment fatigué et la dernière partie de la saison a été encore parfaite. Donc je pense vraiment que si j’avais fait les JO, je n’aurais pas été si bon sur la dernière partie de la saison.