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Avant Paris-Roubaix, Stefan Kung alerte: "On ne fait pas du sport pour terminer à l’hôpital"

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La chute ayant impliqué Jonas Vingegaard, Primoz Roglic et Remco Evenepoel jeudi sur le Tour du Pays Basque a choqué dans le monde du cyclisme. Elle sera bien sûr dans les esprits dimanche sur Paris-Roubaix, dont les pavés provoquent régulièrement de la casse. D’autant que les conditions météo de ces derniers mois ont rendu le pavé glissant.

La frimousse et le cuissard pleins de boue, le géant Stefan Kung avouait avoir reconnu avec "plaisir" ce vendredi une partie des 55.7 kilomètres de pavés qui attendront dimanche les coureurs sur Paris-Roubaix. Coutumier des chutes depuis le début de l’année (sur le GP de Denain, et sur le Tour des Flandres), le Suisse admettait toutefois ne pas avoir été tout à fait "serein" au début de sa reconnaissance et se félicitait donc d’avoir procédé à cet exercice quasi-obligatoire pour quiconque prétend jouer la victoire finale, comme ce sera son cas.

Au cœur de cette reconnaissance bien-sûr, un repérage grandeur nature des pièges attendus lors de la 121ème édition de l’Enfer du Nord, et notamment des grandes quantités d’eau qui se sont parfois sérieusement accumulées sur certains secteurs pavés à cause d’une météo très maussade ces derniers mois sur les Hauts de France. Car le leader de la Groupama-FDJ le sait, Paris Roubaix n’est jamais épargné par les chutes. Et vu l’actualité cycliste de ces derniers jours, elles ne font sourire personne. "Ça fait réfléchir, c’est clair", abonde le Suisse, jamais avare en paroles censées. "On ne fait pas du sport pour terminer à l'hôpital. On fait du sport pour être compétitif, pour donner du spectacle aux gens."

"Des machines de guerre, optimisées à 110%"

Un spectacle rendu toujours plus haletant grâce à une génération de coureurs ultra performants. Que ce soit les Pogacar, Evenepoel, Vingegaard, Roglic et autres Ayuso sur les courses à étapes, ou les Van Der Poel, Van Aert, Philipsen et autres Van Baarle sur les classiques, jamais le vélo n’a paru aussi dense qu’il ne l’est de nos jours. "Depuis 10 ans que je suis pro, je constate une vraie évolution. C’est devenu ultra professionnel", note Stefan Kung. "Tout le monde fait des tests sur tout, chaque détail devient ultra important, et ça c’est dans l’état d’esprit des coureurs. Dans la montée précédant la chute sur le Tour du Pays Basque, le peloton prenait toute la largeur la route. Chacun veut être devant. Avant on ne s’attaquait que dans les cols, maintenant ça peut s'attaquer partout notamment dans les descentes."

Pointé du doigt également par le milieu du cyclisme, le matériel utilisé par les coureurs, de plus en plus moderne et performant. Car si les vélos restent cantonnés à un poids dont la limite basse est de 6kg800, ils n’en restent pas moins de vraies "machines de guerre optimisées à 110%", comme l’explique Julien Jurdie, directeur sportif de Décathlon-AG2R. Et le champion du monde grand favori de Paris Roubaix, Mathieu Van Der Poel d’ajouter: "Les braquets permettent d’aller de plus en plus vite, les freins à disque aussi posent un problème car ils répondent immédiatement et ne laissent aucun temps de réaction quand ça freine derrière. Mais avant, même sans ça il y avait déjà des chutes, donc je ne suis pas sûr qu’il y ait de solution miracle."

"Pour entrer ici à 60 km/h, il faudrait fermer les yeux et prier"

Malgré tout, les solutions, les organisateurs de la Reine des classiques ont tenté d’en trouver pour dimanche. En créant notamment une chicane à l’entrée de la Trouée d’Arenberg où les coureurs passent traditionnellement du bitume lisse aux pavés ultra aiguisés en arrivant pleine balle à plus de 60 km/h dans cette grande ligne droite tracée en plein cœur de la forêt. A la demande du CPA, un syndicat de coureur, cette chicane a donc été imaginée un peu à la dernière minute mais a semé la discorde dans le peloton. "e sera encore plus dangereux", craignait VDP ce matin en conférence de presse, avant même d’avoir effectué sa reconnaissance.  

Langue de bois très politique ou vraie satisfaction, le jeune Néo-Zélandais Laurence Pythie tenait lui un tout autre discours après avoir repéré ce vendredi à la pluvieuse heure du déjeuner cette fameuse chicane avec ses coéquipiers de la Groupama-FDJ. "J’aime cette chicane", souriait le visage poupin, le jeune et prometteur cycliste kiwi disputera dimanche son premier Paris-Roubaix. "Je pense que c’est une bonne chose qu’elle ait été mise en place par les organisateurs. M’imaginer rentrer dans ces pavés humides à 60 km/h, il me faudrait avoir les yeux fermés et prier pour que ça passe. Arriver ici avec moins de vitesse, ça me semble beaucoup plus sûr."

Faire comme la Formule 1, limiter la vitesse

S’il ne semblait lui pas totalement convaincu de la profonde utilité de cette chicane, et surtout du fait qu’elle améliore la sécurité, le manager de Laurence Pythie et Stefan Kung, Marc Madiot, félicitait malgré tout les organisateurs pour cette initiative: "L’intention est louable mais je crois qu’il faudra surtout trouver une approche différente de la Trouée d’Arenberg à l’avenir. Je sais que ça a été envisagé mais ce n’était pas réalisable pour le moment."

Quoi qu’il en soit, à Roubaix comme ailleurs, on ne se fait guère d’illusions sur la capacité du cyclisme à assurer sa propre sécurité. "Il faudrait faire comme à fait la F1", s’agaçait Pascal Chanteur, président du syndicat des coureurs professionnels français. "La F1 elle a limité la vitesse, interdit le turbo, imposé des pneus communs pour tout le monde. Avec un seul objectif commun: la sécurité des pilotes. Il faut faire des états généraux du cyclisme en ce sens, mettre tout le monde autour de la table pour trouver des solutions. Mais ça fait des années que je le dis."

"Je vais être aussi con que mes collègues, je vais leur demander d’être devant"

"Je me souviens avoir fait des interviews avec certains journalistes sur le même thème, avec exactement les mêmes réponses, il y a déjà 4, 5 ou 6 ans en arrière, rembobinait de son côté Marc Madiot ce vendredi le sourire un peu jaune. Revenez dans 5 ans et on fera la même interview. On peut trouver des solutions si on veut. Mais essayons plusieurs trucs. Peut-être que ça ne marchera pas mais essayons par exemple d’interdire les oreillettes, c’est dangereux. En général quand vous êtes en voiture au téléphone et en regardant le GPS, vous êtes quand même moins attentionné. Eh bien les oreillettes, les capteurs de puissance etc. pour les coureurs sur les vélos, c’est pareil.

Malgré tout, Marc Madiot comme les autres managers d’équipes alignées dimanche sur Paris-Roubaix le reconnait: "Je vais demander à mes coureurs d’être devant sur les secteurs clés. Je vais être aussi con que mes collègues. Et mes directeurs sportifs aussi en leur parlant dans la radio." Quitte à encire leur faire prendre des risques? rétorquait de manière rhétorique RMC Sport. "Oui mais le risque fait partie de notre sport", conclut Marc Madiot dans un discours un peu schizophrénique. A discuter avec le milieu cycliste, il y a aujourd’hui l’impression d’être face à un gigantesque serpent qui se mord la queue. Un problème sans solution.

Arnaud Souque à Wallers-Arenberg