RMC Sport
EXCLU RMC SPORT

Les sept travaux de John Textor à l'OL

placeholder video
ENQUETE RMC SPORT. Nouvel actionnaire majoritaire de l'Olympique Lyonnais, John Textor cherche à apposer sa griffe sur le club rhodanien. Entre la succession de Jean-Michel Aulas, la réorganisation du club et le besoin de faire rentrer de l'argent dans les caisses, l'homme d'affaires américain se démène avant le passage devant la DNCG et la prochaine saison de Ligue 1.

Depuis sa prise de pouvoir du 5 mai 2023 après l’éviction de l’emblématique Jean-Michel Aulas, et six mois après avoir racheté les parts des principaux actionnaires, le 19 décembre 2023, John Textor ne manque pas de travail, depuis ses bureaux d’Eagle Football à Londres ou en "présentiel" à Lyon. Le passage devant la DNCG (direction nationale de contrôle et de gestion), ce mercredi, notera la "copie" avec la rigueur que l'instance s’impose depuis le début des entretiens avec tous les clubs professionnels dans cette période économique où la plupart doivent gérer les lendemains de la crise Covid ou le retrait de Mediapro.

Reste à savoir quelle sera la couleur de l’encre utilisée par le gendarme financier du football français pour juger de la crédibilité financière du nouveau propriétaire américain de l’OL. Un vrai juge de paix du présent et surtout de l’avenir du "nouvel" OL en version US. John Textor s’est réfugié dans un intense travail en amont de ce grand oral. RMC Sport s’est plongé dans les coulisses de ces 54 jours de l’après "JMA".

Textor procède aux premières réorganisations

Dans un club qui vit un début de printemps régénérant au niveau sportif avec cette remontada sportive débutée fin janvier, l’éviction de Jean-Michel Aulas plonge l’OL dans un abime de perplexité le 5 mai dernier. S’invite, bien vite, un silence pesant dans et hors les murs du club, chacun des plus de 500 employés d’OL Groupe faisant son deuil du "Préz" à sa propre vitesse.

Ce contexte fait alors le lit de rumeurs et de questions en tout genre alors que les secrets de polichinelle se multiplient. La nouvelle communication se fait d’abord attendre avant d’être diffusée avec parcimonie: le départ du staff de Ludovic Giuly est annoncé le 10 juin. Vient ensuite le 14 juin l'annonce de la nouvelle direction de l’Académie autour de l’ex-adjoint d’Habib Beye au Red Star, Pierre Sage, épaulé par Jean-François Vulliez, le patron depuis six ans qui va gérer les U17 pour passer son BEPF.

Quant aux arrivées de Matthieu Louis-Jean en tant que recruteur en chef et de Martin Buchheit comme directeur de la performance, l’officialisation tombe le 19 juin.

C’est le début de l’ère Textor en mode 2.0 à gogo, depuis ses bureaux de Londres, siège d’Eagle Football: "Matthieu Louis-Jean prendra la tête d'une cellule entièrement repensée en profondeur qui renforcera son utilisation de la data, de la vidéo, ainsi que de l'intelligence artificielle", peut-on lire dans le communiqué.

Textor cherche son remplaçant

Au moment de la révolution de palais de début mai, John Textor a de suite précisé que sa position de directeur général d’OL Groupe l’était pour une période "intérimaire, le temps d’identifier et de désigner un nouveau DG". Depuis, un cabinet de recrutement américain s’active pour dénicher l’homme providentiel.

Sur la feuille de route des chasseurs de tête, il est fortement suggéré que ce futur dirigeant devra être expérimenté, bilingue, meneur d’hommes, n’ayant pas la main qui tremble car des lourdes décisions doivent être prises dans la réorganisation de l’institution OL.

Quelques profils ont ainsi été auditionnés, notamment d’ex-CEO d’entreprises américaines implantées et dynamisées par ces dirigeants français, en Europe. Aucun délai de prise de décision n’a ainsi été précisé aux différents candidats.

Certes, il y a beaucoup de travail de réorganisation à faire au cœur d’une machinerie, déjà du temps de Jean-Michel Aulas, jugée surdimensionnée par des proches de l’ex-homme fort, mais dans l’ordre de priorité des tâches urgentes, John Textor n’a pas placé ce dossier au sommet de la pile car l’urgence est ailleurs.

Textor recherche de l'argent

Car comme annoncé par RMC Sport le 11 mai dernier, le passage de l’OL devant la DNCG s’annonce périlleux, alors qu’il était question d’une somme XXL (130 millions) envisagée par la DNCG pour assurer la viabilité de l’institution OL pour la saison 2023-2024. Surtout que cette médiatisation crispe le microcosme, qui n’a pas aimé que la promesse faite – la présence de Jean Michel Aulas pendant au moins 3 ans – soit déjà morte née moins d’un an plus tard.

Ce coup de canif dans le contrat (moral) – sans s’intéresser au fond de ce divorce – s’ajoutait aux multiplies retards sur la concrétisation de la vente et le lancement de l’OPA. De quoi dessiner un contexte général de supputations, "la pire des choses dans le business", glisse un industriel lyonnais, surtout dans une séquence où il doit trouver beaucoup d’argent: selon des sources bien placées, l’enveloppe se chiffrait, dans le pire des cas, à plus de 100 millions d’euros.

Mais c’était sans savoir à l’époque, qu’en coulisses, une partie de la "récolte" de ces fonds avait déjà été engagée, à l’exemple des échanges d’actions de l’OL féminin avec celles de la structure de Michele Kang, effective au 30 juin. Même si ce n’est pas du cash, ces écritures comptables feront maigrir la somme à apporter, sans oublier l’économie à terme (entre 12 et 15 millions d’euros) du fonctionnement de l’entité féminine au sein d’OL Groupe.

Au même moment, la vente (obligée statutairement parlant) d’OL Reign (achetée 2,8 millions d’euros en 2019) s’engage. Elle doit apporter, cette fois-ci en cash, au moins 50 millions d’euros, montant minimum des ventes des franchises de foot féminin aux USA cette année. Un belle plus-value au bon moment. A terme, il y aura aussi l’ouverture de l’Arena, proche du stade qui apportera son lot de recettes. Entreront aussi en ligne de compte, les fonds dits CVC, que la LFP reversera au club: on évoque 23,5 millions d’euros en juillet.

Faites entrer l'accusé : Aulas, accusé d’avoir mis en danger l’avenir de l’OL – 21/06
Faites entrer l'accusé : Aulas, accusé d’avoir mis en danger l’avenir de l’OL – 21/06
10:38

En lançant (enfin) l’OPA sur les petits porteurs, la semaine dernière, John Textor a envoyé le message, à un moment important: il peut avoir les moyens de sa politique. A ce stade, John Textor peut dire merci à Michele Kang qui a investi 25 millions de dollars dans Eagle Football et a aussi apporté 40 millions de dollars le 16 mai dernier, pour l’aider à financer l’OPA d’un montant final de 64.329.204 euros.

Ces opérations vont-elles être suffisantes? Car la difficulté de John Textor réside dans le fait qu’il va devoir trouver le reste des liquidités (environ 80 millions d’euros) par lui-même ou avec l’appui des actionnaires. Dans ce mois de multiplications de conseil d’administration, ce tour de table a montré sa solidarité dixit une source interne. Or, celui-ci comporte plusieurs fonds, dont Arès qui par exemple avait ouvert une ligne de crédit d’un peu plus de 400 millions d’euros, qui ont permis de boucler le rachat du club, alors qu’une partie devait être conservée pour des financements futurs.

Et comme l’indique un dirigeant écouté sur la place lyonnaise, "quand les actionnaires sont engagés sur une vente XXL, ils n’ont pas intérêt à ce que des fissures apparaissent lors de ce grand oral." Le coup de main de Michele Kang qui lui laisse l’OL au masculin, là où elle engage un travail de fond avec les femmes, sans oublier de lui verser de quoi faire face à l’OPA dès la mi-mai dernier le prouve avec un double effet: cela garnit les comptes en cash et est de nature à rassurer avant de passer devant la DNCG.

Textor affine son plan de présentation devant la DNCG

John Textor a en effet, en tête, depuis un bon mois, "un délai extrêmement court pour préparer une telle échéance" selon un connaisseur de ce type de dossier, ce passage devant la DNCG. D’abord, programmé le 22 juin, il a été décalé d’une semaine notamment après une visio avec le patron de l’entité de surveillance de la LFP, le 7 juin dernier. C’est John Textor qui a demandé cet échange, afin de détailler son travail de fond et qu’il veut pérenne et qu’il mène loin du vacarme médiatique.

A quelques heures de passer ce grand oral, en présentiel à Paris, ce mercredi, avec les traditionnels cadres économiques et financiers d’OL Groupe, rompus à cet exercice pour l’avoir vécu et mené avec Jean-Michel Aulas ces dernières années, John Textor s’avance plutôt serein.

"L’intégralité du budget a été mis à plat et retravaillé, avec une nouvelle vision et une nouvelle approche", explique à RMC Sport l’un des proches de John Textor, précisant que les premières approches ont été faites en mai sur un budget "non travaillé dans cette volonté". A l’image de la mutualisation de la direction sportive au niveau d’Eagle Football, une nouveauté, des synergies verront le jour, de quoi peut-être, démontrer que le modèle souhaité peut s’équilibrer avec ses propres ressources.

Dans quel état d’esprit se trouve John Textor? "Il est bon", décrypte quelqu’un qui lui parle régulièrement quand une autre source décrit un "homme concerné". Comprendre donc qu’au fil de ces échanges, il a constaté que la DNCG n’était pas qu’une instance d’enregistrement de bonnes paroles et de promesses: il lui faut des actes concrets, le courrier – procédé peu utilisé qui dessine l’inquiétude du monde du football – de la DNCG afin de lui demander d’injecter 60 millions d’euros d’ici le 30 juin (selon les informations du journal L’Equipe, le 17 juin 2023) lui a fait passer un message en ce sens.

Le lancement de l’OPA sur les actions encore cotées à la bourse de Paris il y a quelques jours en est une réponse bien accueillie. Il faut rappeler aussi que John Textor hérite d’un club au déficit (de l’ordre de 100M€) creusé par la période du Covid-19, le désistement de Médiapro et l’absence récurrente de Coupe d’Europe et ses lucratifs subsides: c’est pour cela que, quand il était encore aux commandes, Jean Michel Aulas s’était engagé à vendre des joueurs, pour 70 millions d’euros avant le 30 juin. Car l’OL a été construit, en entrant dans le grand stade, sur un modèle économique ambitieux: en cinq ans, le club ne peut se permettre une seule absence européenne et "doit" être trois fois en Ligue des champions. Or, depuis le Final 8 à Lisbonne en août 2020, l’OL n’a plus été invité à la cour des grands d’Europe.

>> Le meilleur de la Ligue des champions, c'est sur RMC Sport

Textor supervise la "régence" au niveau du recrutement sportif

Avec le départ de Jean-Michel Aulas début mai et puisque John Textor doit s’occuper de gérer aussi entre deux avions, les affaires à Molenbeek, qui grimpe d’un étage en championnat belge et de Botafogo (Brésil), en plein championnat, John Textor ne manque pas de dossiers entre deux déplacements continentaux. Le dirigeant américain doit parfois gérer une visio à distance quand il est 9h à Lyon, il est donc 3h du matin chez lui à Miami.

Matthieu Louis-Jean nommé le 19 juin, mais en poste le 1er juillet "habite déjà un peu dans le quartier", selon le décryptage d'une source. En clair, il gère à distance des dossiers: il a par exemple validé l’idée du latéral droit Clinton Mata, repéré par l’équipe de Bruno Cheyrou et validé par Laurent Blanc.

Mais la mission de Matthieu Louis-Jean ne s’entend que dans le sens des arrivées. Or, une pile de dossiers brûle les doigts, celle des retours de prêts. Ils sont 11 joueurs dans ce cas. Et peu sont désirés à la reprise du 6 juillet. Pour cet exercice délicat, qui ne concerne pas le nouveau chef du recrutement, qui demande un savoir-faire, John Textor ne peut réussir sans...Vincent Ponsot.

Il a appris à connaitre son expertise à son poste et s’est fait sa propre vision, loin du diktat des réseaux sociaux. Ainsi, l’ex-bras droit de Jean-Michel Aulas "conserve ses fonctions de directeur général du football et les missions restent les mêmes", selon le communiqué du 19 juin. Lequel Vincent Ponsot ne peut fonctionner sans Bruno Cheyrou, lui aussi dans de le viseur de la toile mais que John Textor apprécie et souhaite positionner plus haut dans la hiérarchie d’Eagle Football. D’ailleurs, quelques réunions pour plancher sur le futur contour de l’effectif ont réuni ces trois hommes encore dernièrement.

Mais en attendant de définir son champ de compétences – d’où l’absence de son nom dans les communiqués de réorganisation – Bruno Cheyrou donne la main pour la venue de jeunes qui débuteront en réserve avant de peut-être grimper en professionnel: il finalise l’arrivée de Mahamadou Diawara, surveillé par sa cellule et Fabien Caballero, l’œil de l’Académie et gère les venues de deux jeunes du Dakar Sacré Cœur (Ibrahima Fall et Moussa Kanté), club partenaire du Sénégal depuis 2015 et en contrat jusqu’en 2024. Le duo Ponsot-Cheyrou avance ainsi sur Cenk Ozcazar (transféré définitivement à Valence) et d’autres dossiers, lesquels dans un monde idéal amèneraient quelques liquidités, comme potentiellement ceux de Karl Toko-Ekambi vers la Turquie ou de Romain Faivre à Lorient, avant le passage devant la DNCG.

Quant à la nouvelle structure autour de Matthieu Louis-Jean, elle se mettra en place en juillet avec des moyens humains et financiers nouveaux, sous le regard de John Textor, qui fait office de… directeur sportif, à l’image du poids qu’il a pris en janvier dans la gestion de Jeffinho.

D’ailleurs, le communiqué du 19 juin énonce clairement la donne: le nouveau directeur du recrutement "pourra compter sur le soutien de John Textor qui s'impliquera personnellement dans la politique de recrutement de l'Olympique Lyonnais, aux côtés de Laurent Blanc, qui participera lui aussi à la construction de la meilleure équipe, dans le respect des valeurs de l'Olympique Lyonnais. Leur arrivée marque les premiers pas de notre projet sportif pour retrouver notre place en Europe, et tenir nos promesses envers nos supporters passionnés. "

Comprendre: le futur directeur sportif sera un DS au niveau d’Eagle Football, la structure générale qui mène les quatre clubs de l’entité, tandis que la gestion sportive de l’OL sera elle gérée par un triumvirat, Matthieu Louis-Jean, John Textor et Laurent Blanc.

Textor rassure

La manière avec laquelle il a évincé Jean Michel Aulas le 5 mai 2023, en passant par une première conférence de presse sans annonce, le lendemain, les premiers pas lyonnais de John Textor ont gêné les milieux économiques et politiques locaux, laissant penser qu’il n’avait pas de réel plan de vol pour leur OL.

La nomination de Gauthier Ganaye à Molenbeek, dont le souvenir laissé à Nice, Oostende, Barnsley ou Nancy n’est pas vivace, a aussi interpelé bon nombre d’observateurs du monde du foot. De quoi ouvrir la porte à beaucoup de scepticisme, porté et souligné aussi par les proches de l’ancien président. Mais au fil des entretiens et des échanges John Textor rassure: "c’est le même que JMA, je retrouve les mêmes réflexes et réflexion, et il veut tout savoir. Il centralise beaucoup", note un observateur qui ajoute, pour ajouter au parallélisme entre l’ex et l’actuel boss: "Il est aussi actif sur les réseaux". Dernière preuve en date, son coup de gueule contre l’Arabie saoudite qui approche "mon meilleur joueur" dit-il ce lundi.

Thibaud Leplat : "John Textor ne peut pas reprocher d'être victime de la chaine alimentaire dans laquelle il s'est embarqué" – 26/06
Thibaud Leplat : "John Textor ne peut pas reprocher d'être victime de la chaine alimentaire dans laquelle il s'est embarqué" – 26/06
17:03

Et tous, vantent ses connaissances du foot et sa passion pour le ballon rond. "Il est cool, plaisant, facile d’accès", note-t-on aussi.

Certains, habitués des reprises d’entreprises, y voient même un atout pour l’avenir de l’OL: "Pour faire passer le club dans une autre dimension, cela ne peut se faire que par lui". Pris par la préparation du passage devant le DNCG mais aussi de la prochaine saison au niveau sportif, il n’a pas encore vu, en dehors des matchs dans la corbeille du Groupama Stadium, le maire de Lyon, Grégory Doucet, et surtout le patron de la métropole, Bruno Bernard, supporter de la première heure de l’Olympique Lyonnais.

Textor sa familiarise avec le monde du football

Même chose du côté des instances sportives. Contrairement à d’autres investisseurs étrangers qui débarquent en France, John Textor n’a pas contacté le président de la LFP, Vincent Labrune, pour le rencontrer longuement - les deux hommes ont simplement été présentés au stade en septembre lors d’OL-PSG -, lui exposer son projet et se rapprocher du pouvoir de la Ligue. D’autres dirigeants français grincent de ne pas avoir échangé avec lui depuis son arrivée dans le foot français.

Cependant, John Textor a pu casser l’image d’Epinal de l’homme d’affaires américain qui ne vient faire que du business à travers le stade et ses salons de séminaires, la future salle de spectacle et va éparpiller façon puzzle l’OL Groupe, à l’image de sa première opération, la séparation d’OL féminin du giron direct du club. Au contraire, les constats se recoupent, de l’intérieur: "C’est un fou de foot, il s’y connait. Il a, par exemple, pris le temps de regarder des matchs à l’Académie lors d’un passage au printemps, on voit bien qu’il est passionné."

A la table de Philippe Diallo - le président de la FFF - le 12 juin lors de la convention Foot Unis rassemblée au Groupama Stadium par Laurent Nicollin, il a pris soin, comme à chacune de ses interventions, de ne dire que du bien de Jean-Michel Aulas, dans un milieu du foot français encore affecté par l’éviction d’un de leur meneur depuis 36 ans. Même attitude fair-play lors de rencontres avec les supporters. Des premiers pas finalement convaincants. Mais résisteront-ils devant les juges de la DNCG? La réponse ne saurait tarder.

Edward Jay et Loïc Briley